Article de France-Antilles du 22 juin 2015
Au lendemain de la fête des pères, Carole Bagnéris, Huguette Emmanuel Bellemare et Sylvie Javaloyes, de l’association Culture Égalité, s’expriment sur la question des familles monoparentales masculines.
La société porte parfois un regard suspicieux sur les hommes qui élèvent seuls leurs enfants, pourquoi ?
Oui, 10% des célibataires avec enfants sont des hommes! Saluons leur courage et leur audace, car ce sont, sinon des héros (des millions de femmes en font autant depuis des milliers d’années), du moins des pionniers! Alors pourquoi ce regard soupçonneux qui pèserait sur eux dans les actes de la vie courante, par exemple lorsqu’ils vont chercher leurs enfants à l’école ? D’abord, pendant des siècles, s’occuper des enfants a été « le rôle naturel » des femmes, leur raison d’être. Donc, même en couple, c’est elles qui en ont presque uniquement la charge dans la vie quotidienne (suivi de la santé, de la scolarité…). Enfin, pour des tas de raisons, ce sont surtout elles qui se sont retrouvées à vivre seules avec eux (plus de 4 fois plus souvent que les hommes, encore aujourd’hui). Il est normal, donc, qu’un père seul suscite la curiosité… Mais en réalité, passé le premier étonnement, la plupart s’attirent – de la part des femmes, du moins – sympathie et compassion, voire zèle et dévouement!
D’où vient le problème alors ?
En fait, on peut se demander si le problème ne vient pas des hommes eux-mêmes : les tiers, volontiers goguenards et le père novice, peu confiant en ses propres capacités. Cependant, une éventuelle suspicion peut venir de ce que nous entendons tous les jours de la violence masculine. Cela est, bien sûr, injuste envers les bons pères – la grande majorité – qui, par leur pratique, infirment ces préjugés.
Quelle est la problématique spécifique quand un homme élève seul une fille, par rapport à un garçon ?
On pense tout de suite, bien sûr, à ce que nous avons évoqué tout à l’heure, les cas de violence, d’inceste même. Mais dans la vie courante, le père lui-même peut se sentir mal à l’aise pour aborder certains points de l’éducation des filles (sexualité…) – Comme c’est le cas pour la mère seule avec un fils. Un autre problème vient de ce que la fille (surtout aînée), mystifiée elle aussi par le rôle traditionnellement attribué aux femmes, peut, sortant de sa place d’enfant, essayer de remplacer la mère absente… et même empêcher le père de refaire sa vie, voire d’avoir une vie amoureuse. S’il se laisse faire, celui-ci lui proposera comme modèle celui d’un être humain sacrifié sur l’autel du devoir parental.
Qu’est-ce qui, selon vous, distingue la paternité de la maternité, « en solo » ?
Sur le plan des compétences, rien d’autre que l’expérience : la femme a progressivement appris à sacrifier sa vie professionnelle, ses loisirs et même sa vie amoureuse – ce qui n’est pas plus recommandé pour les pères. Mais elle a appris aussi à s’organiser, ce que les « papas solo » apprendront certainement aussi. Sur le plan sociologique, les statistiques de l’INSEE nous indiquent que la situation économique des nouveaux pères (profession, logement…) est souvent meilleure que celle des mères célibataires. Élever seul ses enfants est parfois un choix pour pères de milieux favorisés.
Pensez-vous que l’absence d’une mère, ou d’une présence féminine, peut être un obstacle au développement de l’enfant ?
Le docteur Huerre, pédopsychiatre, affirme : ce qui importe, c’est que la figure d’attachement première soit fiable… Peu importe que ce soit le père ou la mère. En tous les cas, le père ne doit pas essayer de remplacer la mère : même si celle-ci a disparu, il est important de l’évoquer. Sinon, cela reviendrait à nier une part de l’enfant lui-même… Enfin, ce qui paraît essentiel, en cas d’absence de la mère, c’est qu’il y ait des tiers féminins invoqués régulièrement.
C’est ainsi que cela se passe ?
Sur ce point, nous pouvons facilement nous rassurer : les pères vraiment seuls sont rares! Le plus souvent, ils savent s’entourer de femmes ressources : leur propre mère ou soeur, leur nouvelle compagne ou/et une salariée! Ajoutons que l’on a connu dans la société traditionnelle martiniquaise des pères courage qui ont dû élever seuls une famille nombreuse, à la suite, par exemple, du décès de leur femme. Ils se sont en général très bien acquittés de cette tâche et ont su parfaitement structurer leurs enfants – avec, il est vrai, la solidarité de toutes les femmes des alentours : parentes, voisines…
Y a-t-il un instinct paternel ?
Ça paraît peu vraisemblable! En effet, tous les scientifiques semblent d’accord aujourd’hui pour dire déjà qu’il n’existe pas d’instinct… maternel! « Le terme instinct, au sens strict, suppose que l’on soit conduit, malgré soi, à un certain type de comportements qui seraient liés à notre espèce. Cela est valable pour les animaux, mais pas pour l’espèce humaine » , affirme Françoise Héritier, célèbre anthropologue. « Le sentiment maternel est le fruit d’une maturation psychique singulière à chaque jeune mère, c’est une construction qui peut se faire dans la difficulté » , complète Maryse Vaillant, psychologue.
Une bonne nouvelle ?
Cela nous paraît une bonne nouvelle pour les femmes qui peuvent enfin échapper à l’injonction sociale et à la culpabilisation… Et pour les pères qui peuvent espérer construire des relations tout à fait exceptionnelles avec leurs enfants, à condition de s’y mettre. Et pour cela, pas besoin d’attendre d’être « solo » !
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