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Pères solo, pères singuliers ?

15 à 20% des personnes élevant seul leur(s) enfant(s) sont des hommes, nous dit-on ! Il nous faut saluer leur courage et leur audace, car ce sont, sinon des héros (des millions de femmes en font autant depuis des milliers d’années), du moins des pionniers !

Alors d’où vient ce regard soupçonneux qui, selon leurs affirmations, pèserait sur eux dans les actes de la vie courante, par exemple lorsqu’ils vont chercher leurs enfants à l’école ou à la crèche ?

D’abord, pendant des siècles, s’occuper des enfants a été « le rôle naturel » des femmes, leur raison d’être. Aussi, même quand elles vivent en couple, c’est elles qui en ont presque uniquement la charge dans la vie quotidienne (suivi de la santé, de la scolarité…). Enfin, pour de nombreuses raisons, ce sont surtout elles qui se sont retrouvées à vivre seules avec eux (plus de 5 fois plus souvent que les hommes, encore aujourd’hui). Il est normal, donc, qu’un père seul avec enfant suscite la curiosité… Mais en réalité, passé le premier étonnement, la plupart s’attirent – de la part du public féminin, du moins – sympathie et compassion, voire zèle et dévouement (en langue martiniquaise, soutirance) !!

En fait, on peut se demander si le problème ne vient pas des hommes eux-mêmes : les tiers, volontiers goguenards (« En voici un qui s’est fait plaquer par une femme et ce makoumè ne peut même pas se débrouiller pour refiler le bébé à une autre ! ») mais aussi le père novice, peu confiant dans ses propres capacités.

Cependant, si suspicion il y a vraiment, elle peut venir de ce que nous entendons tous les jours à propos de la violence masculine. Cela est, bien sûr, injuste envers les bons pères (la grande majorité) qui, par leur pratique, infirment ces préjugés.

A fortiori, le malaise s’accroît quand l’homme élève seul une fille. On pense tout de suite, bien sûr, aux cas de violence, d’inceste même, qui font la une des journaux.

Mais dans la vie courante, le père lui-même peut se sentir mal placé pour aborder certains points de l’éducation des filles (sexualité…). Selon les auteur.e.s de Pères solos, pères singuliers ?2 un autre problème vient de ce que la fille (surtout aînée), mystifiée par le rôle traditionnellement attribué aux femmes, peut, sortant de sa place d’enfant, essayer de remplacer la mère absente…

Elle risque alors de s’installer dans une vie de « petit couple » déstructurante et de plus, d’empêcher le père de refaire sa vie, et même d’avoir une vie amoureuse. S’il se laisse faire, celui-ci lui proposera en modèle un être humain sacrifié sur l’autel du devoir parental.

Enfin, à l’adolescence, une trop forte relation avec le père qui ne peut être contesté constitue un obstacle à l’autonomisation de l’enfant. Difficile d’exister ou de rivaliser avec ce père auquel on doit tout.

Mais tout cela ne disqualifie pas pour autant les pères seuls. Nos auteur.e.s affirment : « ce qui importe, c’est que la figure d’attachement première soit fiable », « peu importe que ce soit le père ou la mère ». De plus, le père doit se contenter d’être père, et ne pas essayer de remplacer la mère : même si celle-ci a disparu, il est important de l’évoquer. Sinon, cela reviendrait à nier une part de l’enfant lui-même. Enfin, en cas de disparition de la mère, il est essentiel, poursuit le pédopsychiatre, que des tiers féminins soient invoqués régulièrement.

Sur ce point, nous pouvons facilement nous rassurer : les pères vraiment seuls sont rares ! Le plus souvent, ils savent s’entourer de femmes ressources : leur propre mère ou sœur, leur nouvelle compagne ou, à défaut, une salariée !

Ajoutons que l’on a connu dans la société traditionnelle martiniquaise des pères courage qui ont dû élever seuls une famille nombreuse, à la suite, par exemple, du décès de leur femme. Ils se sont en général très bien acquittés de cette tâche et ont su parfaitement structurer leurs enfants – avec, il est vrai, le « coup de main » de toutes les femmes des alentours : parentes, voisines…

Mais en fait, tout ce que nous venons de dire des pères seuls avec leurs enfants peut se dire, mutatis mutandis, des femmes dans la même situation ; les mêmes écueils sont à éviter : que le fils veuille s’installer dans le rôle du chef de famille, que la mère donne aux enfants l’image d’une femme sacrifiée, ce qui nuirait plus tard, de diverses manières, à leur autonomisation et à leur épanouissement. Aussi, la mère seule devrait pouvoir également avoir recours à un tiers référent. Seulement, vu les particularités de la société martiniquaise, elle ne pourra guère, dans ce cas, compter que… sur d’autres femmes !

Il y a donc beaucoup de ressemblances entre la paternité de la maternité « en solo ». Qu’est-ce qui les différencie alors ?

Sur le plan sociologique, les statistiques de l’INSEE Martinique nous indiquent que la situation économique des nouveaux pères (profession, logement…) est souvent meilleure que celle des mères célibataires : élever seul ses enfants est parfois un choix pour pères de milieux favorisés.

Sur le plan des compétences, l’expérience fait certainement une grande partie de la différence : la femme a progressivement appris à sacrifier sa vie professionnelle, ses loisirs et même sa vie amoureuse – ce qui, nous l’avons vu, n’est pas plus recommandé que pour les pères. Mais, surtout, elle a appris aussi à s’organiser, ce que les « papas solo » apprendront certainement aussi.

Car, tous les scientifiques semblent d’accord aujourd’hui pour le dire, l’instinct maternel, cet alibi dont on nous a tant rebattu les oreilles, n’existe pas !3

« Le terme instinct, au sens strict, suppose que l’on soit conduit, malgré soi, à un certain type de comportements qui seraient liés à notre espèce. Cela est valable pour les animaux, mais pas pour l’espèce humaine », affirme Françoise Héritier, célèbre anthropologue.

« Le vécu d’une femme face à son enfant est le produit de son histoire personnelle, et du contexte social, économique, politique dans lequel naît cet enfant », renchérit Catherine Vidal, neurobiologiste.

« Le sentiment maternel est le fruit d’une maturation psychique singulière à chaque jeune mère, c’est une construction qui peut se faire dans la difficulté » complète Maryse Vaillant, psychologue.

Cela nous paraît une bonne nouvelle pour les femmes qui peuvent enfin échapper à l’injonction sociale et à la culpabilisation… Et pour les pères qui peuvent espérer construire des relations tout à fait exceptionnelles avec leurs enfants, à condition de s’y mettre.

Et pour cela, pas besoin d’attendre d’être « solo » !

Huguette Emmanuel Bellemare, Sylvie Javaloyes, militantes de Culture Égalité

1# Nous empruntons ce titre (et quelques développements, signalés plus bas) au livre de Patrick Huerre et Christilla Pellé-Douël : Pères solos, pères singuliers, Albin Michel, 2010.

2# Cité par Martine Laronche dans « Ces pères qui élèvent seuls leurs enfants », Le Monde, 06/02/10 : http://www.lemonde.fr/vous/article/2010/02/06/ces-peres-qui-elevent-seuls-leurs-enfants_1302003_3238.html

3# Les citations qui suivent sont extraites de l’article : L’instinct maternel existe-t-il vraiment ? : http://www.psychologies.com/Famille/Etre-parent/Mere/Articles-et-Dossiers/L-instinct-maternel-existe-t-il-vraiment

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